Fabrice Eulry nous parle brièvement de l’oeuvre Claude Bolling et de sa collaboration avec le compositeur de Borsalino :
On pose souvent cette question : Les grands compositeurs, Mozart, Beethoven, Chopin, Tchaïkovsky, ceux qui sont les plus joués, les plus appréciés, ont vécu aux XVII, XVIII ème ou XIX siècle. Les compositeurs contemporains laisseront-ils quelque chose d’aussi durable ?
Eh bien en 2020 on a, et à juste titre, encensé Ennio Morricone lorsqu’il nous a quitté. On a pu entendre les musiques des westerns spaghettis et des grands polars que sa musique a illustrés, partager les vidéos sur internet ou acheter les dvd de ses concerts, entendre ses louanges de la part des média, etc…
Or nous avons nous aussi perdu notre Ennio Morricone français ! On pourrait même dire que nos cousins transalpins perdu leur Claude Bolling italien ! Mais dans les média français trop occupés à vendre la peur du virus : NIENTE ! RIEN !
Tout juste avons-nous pu lire sur un hebdomadaire quelques commentaires sur ce « pianiste de jazz » (étiquetage réducteur paresseux) « touche à tout » (éclectique, cultivé, et travailleur acharné aurait gaspillé beaucoup trop d’encre !).
Claude Bolling c’est non seulement des musiques de films (Borsalino, Les brigades du tigre, Lucky Luke…) toutes aussi géniales et célèbres que celles d’Ennio Morricone, mais aussi une discographie variée allant du panorama du Ragtime (maîtrisé !) au boogie-woogie, en passant par ses cross-over : rencontre de son piano swingant avec des musiciens de la traditions classique européenne : le flûtiste Jean-Pierre Rampal- le guitariste Alexandre Lagoya… Des milliers de pages d’écriture ciselée… Sorti en 1965, à l’époque du Play-Bach de Jacques Loussier, me vient également en mémoire son Mozart en Dixieland, oeuvre aboutie, sans une note de mauvais goût !
Claude Bolling également comme homme de scène, a été omniprésent sur les planches dès la Libération (en culottes courtes) : ce grand pianiste et chef d’orchestre qui bien avant Ennio Morricone a mis sa musique sur scène, jouait dès 1944 avec les plus grands musiciens d’alors, comme Duke Ellington, et propulsa dans la chanson, les plus grandes personnalités comme Brigitte Bardot, en leur déroulant le tapis rouge de ses plus belles orchestrations.
Contre vent et marées, il a maintenu son grand orchestre pendant 55 ans jusqu’à sa retraite (vers 2013 pour raison de santé). « C’est ma danseuse » disait-il, n’hésitant pas parfois à débourser lui-même lorsque le budget ne permettait pas l’effectif complet des musiciens. En 2010, une des dernières occasions que j’eus d’entendre ce fameux big band, ce fut au Petit-journal Montparnasse : il y avait au comme toujours, sots à Champagne au premier rang, avec ses copains du Canard enchaîné, le dessinateur Cabu qui ce soir-là me glissa : « Je ne rate aucune de ces soirées, car dans cinq ans tout ça n’existera plus« …
Nous tenions à rétablir une juste oraison pour notre Claude Bolling national, que l’Histoire citera non seulement comme un compositeur remarquable de la deuxième moitié du XXème siècle, mais gardera comme un créateur intemporel.
Avec l’aide de Jean-Christophe Averty, dès les années 1960, en quelques émissions et en diffusant ses partitions, Claude Bolling sut donner à deux ou trois générations de pianistes le goût du Ragtime et du Boogie-woogie, par ses compostions et l’exhumation de trésors qui étaient tombés dans l’oubli.
Je vous promets très prochainement d’évoquer notre collaboration à l’occasion d’une prochaine émission de radio qui sera relayée par Le Canard du pianiste. »
F.E.