Une très forte personnalité complètement en dehors de tous les circuits, y compris internet, mais pour qui le public se déplaçait spontanément depuis deux générations, vient de rejoindre le paradis des musiciens, si toutefois il le désire, car cet homme libre qui dénigrait tous les leurres dans un fou rire d’une animiste légèreté, n’était pas du genre à se faire placer une puce sous la peau ou à bêler avec les troupeaux.
Guy Eyoum en 2010 avec sa fidèle et inséparable Fender Stratocaster usée jusqu’à la corde, au sens propre comme au sens figuré (la peinture était déjà écaillée vers 1985).
Mais c’est à la basse électrique qu’il était jubilatoire de le voir comme de l’entendre. Si physiquement à l’aise avec cet instrument, qu’il en jouait spontanément sans jamais s’y exercer, Guy Eyoum le tenait cependant en de rares occasions :
- Jam sessions : faisant le walking bass sur le swing, le manche de la basse vertical comme s’il s’agissait d’une contrebasse, avec sourires et rires de jubilation.
- Bals : avec Claude et son ensemble, groupe de bal de l’Isère dans les années soixante-dix et quatre vingt, outre les tubes du moment il tenait la basse sur le répertoire de paso-doble et de tango « à la feuille » et même au « doigt mouillé », et étant impossible d’obtenir de lui une répétition, son oreille, sa concentration, son métier, le sens du rattrapage aux branches, et un sourire irrésistible faisaient la farce.
- La basse électrique dans son projet musical : Là aussi il était le plus souvent au chant et à la guitare. Mais les rares fois où il prenait la basse, il jouait des lignes d’afro-rythm’n blues magiques qui rendaient fou, et donnaient l’envie irrésistible de danser.
- C’est en tout cas dans le contexte de ses propres chansons (compositions d’inspiration camerounaise, mais aussi reprises du répertoire afro-américain) qu’il se produisait le plus souvent. Son aura lui ouvrait des portes plus que tout autre musicien du Dauphiné, région où il avait élu domicile après avoir quitté le Paris de la fin des années 1970 qui fut sa première expérience en France en arrivant du Cameroun. A suivre…
- En 1987, le milieu très réservé du cinéma lui offrit même une incursion lorsque sa musique illustra le film Come sono buoni i bianchi (Y’a bon les blancs) de Marco Ferreri, dont il est utile en ces temps troublés de migrations chaotiques de se remémorer l’avertissement non écouté :
- (cliquer sur l’image)
- … Guy ne dévia pas pour autant de son chemin, plus soucieux de liberté et de savoir que de gloire et de jouissance des fromages publics.
- Même si le film de Marco Ferreri n’avait pas été boudé par un grand public à l’époque hypnotisé par les films américains, Guy aimait apprendre de sa vie quotidienne chez lui à Grenoble, et des livres qui s’empilaient par terre dans son petit appartement. Il aimait profondément la France : *. Et elle était pour lui un objet permanent de curiosité. Que n’avons nous pas ensemble, disserté des heures sur son Histoire !
- Quelques citations de Guy sur le sujet extraites de nos discussions où s’arrêtait le temps :
- « Lorsque je suis arrivé à Paris et que j’ai vu tant de beauté architecturale, ces immeubles du XIXème et du XVIIIème siècle nombreux mais tous différents et harmonieusement ordonnés, j’ai été admiratif et j’ai eu le sentiment de découvrir une grande civilisation »
- « Je recherchais la liberté et le savoir en venant en France »
- « Lorsque je suis arrivé à Paris à la fin de des années soixante-dix il y avait encore une énergie révolutionnaire, aujourd’hui (1986) lorsque j’y retourne, il y a une résignation générale ».
- Ses questions récurrentes sur l’histoire de France : la Résistance, la France libre, les guerres de décolonisation, qu’il a subies au Cameroun (répression contre la population, livraison du pouvoir à des corrompus, caractère artificiel des entités politiques africaines -frontières issues de la colonisation ne correspondant à aucune réalité, FrançAfrique… l’esclavage enfin : avec humour il aimait souligner qu’il appartenait à une tribu de dominants qui en avait profité en vendant ses captifs des tribus voisines. Il était dans sa musique et ses spectacles le dénonciateur de ce système et de tous ses profiteurs mais aussi comme Fela il ne souhaitait pas infantiliser le public en jouant sur la culpabilité, rendant à la musique sa fonction originelle la plus subversive : à savoir que la formulation à travers une histoire ou une esthétique permettent de dénoncer sans culpabiliser, d’expier en consolant.
*Ces propos de Guy Eyoum datent de 1984 à 1990, les citations ne sont pas sans doute pas rigoureusement exactes : l’ancienneté du souvenir a pu déformer des adjectifs, m’en faire oublier ou en ajouter. (NDFE)
A suivre…
… Chez lui seul, sans doute suite une crise de diabète. Il aimait le recueillement, lisait beaucoup…
Peiné de l’apprendre. J’ai joué avec lui il y a une bonne quinzaine d’années.
J’en garde un souvenir fort.
Savez vous comment il est mort ?
Son frère m’avais contacté il y a déjà un moment pour avoir de ses nouvelles…