REST IN PEACE, DEAR LITTLE RICHARD

Vous penserez peut-être : « Bon, 87 ans, il faut bien partir un jour » mais tout aussi tristes que lorsqu’Elvis tira sa révérence, nous ne dirons jamais assez tout ce que les autres doivent à Little Richard.

Par sa voix :

James Brown, Tina Turner, Joe Cocker… : tous ceux qui après lui ont pu faire entendre que l’on peut chanter-hurler en maîtrisant sa voix…

Voici un extrait du film Don’t knock the rock (1956) Little Richard et son orchestre : À 1’19, on reconnaît Bill Haley et sa mèche accroche coeur attablé, comme spectateur.

Entre Alan Freed et Alan Dale, Bill Haley, bat la mesure sur le fameux Long Tall Sally de Little Richard.

Par son jeu de piano :

le rock’n roll fait la part belle à la guitare, mais le piano y trouve ses trois légendes : Little Richard, Fats Domino, et Jerry Lee Lewis. Entraînant tout l’orchestre, le jeu pianistique de Little Richard possède dans ses atouts un staccato rapide et précis donnant à son rock’n roll la précision qui entraîne inexorablement les danseurs. 

Avant de devenir une vedette, cette résistance et cette souplesse du poignet lui ont valu d’être engagé…

… pour des séances de studio où l’on cherchait un pianiste capable de jouer des triolets presto et fortissimo tout au long de la chanson, là où les autres pianistes avaient calé, il joua sans problème !

Par l’évolution du son de son orchestre :

Little Richard a très tôt combiné le jeu binaire avec le jeu ternaire, ce qu’a fait également Chuck Berry (dont le Canard du pianiste vous a parlé récemment lors de sa disparition). Ici dans le film Don’t knock the rock (1956), l’orchestre joue ternaire à la batterie et aux saxophones, et binaire dans le jeu de guitare et de piano de Little Richard. Cette combinaison a fait évoluer le jeu rythmique dans les années soixante avec l’introduction de la syncope funky (syncope à la double croche) comme faisant partie de la matrice rythmique de base. Si on compare les versions années soixante des rock’ roll de Little Richard avec les versions originales des années cinquante, on entend qu’il est un des premiers à avoir introduit cette évolution subtile dans son orchestre bien avant que l’on parle de pop et de funk. Ces versions sont rares sur l’internet gratuit et en vinyle, mais pullulent en compilations rock’n roll (cd ou cassettes) .

Voici néanmoins celle la version Lucille datant de 1964 (qui diffère de la première est celle de 1956 par ce que nous venons de souligner) . Cliquez sur le lien et écoutez le batteur qui va faire école : il joue comme joueront tous les batteurs du monde mais seulement cinq ans plus tard, à partir de la fin des années soixante. Écoutez les cuivres : ils s’harmonisent jouent comme joueront et s’harmoniseront les cuivres dans tous les orchestres de pop et rythm and blues pendant les années suivantes ; on entend déjà les JB’s l’orchestre de James Brown. James brown qui comme Little Richard a une parenté amérindienne qui peut expliquer en partie la similitude de timbre de voix, et cette manière de hurler le phrasé blues.

https://www.youtube.com/watch?v=3lE7IxaDG40


https://www.youtube.com/watch?list=RDLVIttmFAzek&v=LVIttmFAzek&feature=emb_rel_end

Avec Chuck Berry, Fats Domino, et aujourd’hui Little Richard, le rock’n roll commence à perdre ses derniers pionniers, mais c’est encore une chance d’avoir pu les entendre comme vétérans jusque dans ces années 2010. Il y avait jusque dans les années 1980 une thèse selon laquelle le rock’n roll tue ses artistes. On l’expliquait par une malédiction (accidents de voiture, accidents d’avion) et la légende entretenue par des fans naïfs faisait vendre du papier. 

Les faits semblaient accablants :

Ritchie Valens mort en 1958 avant ses 20 ans.

Buddy Holly, Big Bopper morts en 1958 et Eddy Cochran en 1960 tous avant leurs 30 ans.

John Lennon à 40 ans

Elvis à 42 ans

Bill Haley à 56 ans

Chuck Berry, Fats Domino, et aujourd’hui Little Richard ont conjuré le mauvais sort qui semblait au départ concerner tous les rock’n rollers. Ils illuminent encore notre époque triste et orwelienne, pétrie de peur et de surveillance de masse, où nous avons eu la chance de les garder comme témoins d’une autre époque, libre heureuse et révolue, mais pas si lointaine, pleine de frimousses adolescentes radieuses, épanouies et enthousiastes. Merci à eux d’avoir témoigné jusqu’à nos jours qu’un monde positif de création artistique et de gaité a existé et peut exister à nouveau.

Une superbe version de Good Golly miss Molly en 1992. Little Richard a alors 59 ans, et le grand champion Muhammad Ali fasciné au premier rang, fête ses 50 ans.

Eh oui les doigts à plat ! Comme Memphis Slim (héritage de la percussion africaine)

https://www.youtube.com/watch?v=RCYGNtyktlg

Oui au final, ils ont tenu bon les rock’n rollers : ce n’est pas cette musique qui tue, mais bien le showbiz avec ses exigences et ses vertiges qui pousse des artistes déjà fragiles vers le risque et la drogue, pour au passage refaire un petit billet en vendant leur chute pathétique comme une légende. 

Ce n’est pas la musique qui détruit.

Oui le rock’n roll conserve !

Little Richard en chaise roulante prêchait encore il y a peu avec le gospel dans l’église adventiste en faisant marrer les fidèles. Chuck Berry s’est encore produit sur scène octogénaire. Il y a six ans Wanda Jackson venait encore chanter en France à 80 ans, et Jerry Lee Lewis né la même année qu’Elvis (1935) tient encore le coup après avoir vidé sans doute plus de semi-remorques de whisky qu’il n’en faudrait aux routiers pour boucher tout le tunnel du Mont blanc.

Le Killer en action en 1956
Jerry Lee dans Great balls of fire. On ne voit plus ses mains !

Voici un beau documentaire en ricain qui ne dit pas tout, mais qui montre que le rockn’ roll n’est pas une invention sortie de nulle part, qui aurait été fabriquée par le showbiz. On comprend cependant comment ce dernier a surtout récupéré et mondialisé une combinaison de musiques populaires, et on imagine comment à partir de là et de la pop, il a su s’engouffrer dans la demande de spiritualité de générations nanties sur les autres plans, pour la dévoyer et vendre sa came en détruisant tous les repères en quatre décennies. Dans ce film on le perçoit déjà par les petites dissonances (qui font sourire aujourd’hui par rapport à ce à quoi le rap est associé) : les coups bas, les petits excès, et des adolescents bien coiffés et costumés qui cassent des chaises et apeurent des puritains ridicules et dépassés qui essaient de censurer. Des jeunes pleins de vie, testostérones privées de « guerres justes », ou de révolution pour leurs droits (à s’amuser seulement, car les droits sociaux ils les avaient déjà) des « révoltes » dont la société de consommation a finalement su très bien s’accomoder. On s’arrêtera là sur ces aspects du rock’n roll et de la pop, car d’aucuns ont trop écrit là-dessus sans recul depuis 60 ans, en oubliant que le rock ‘n roll, c’est d’abord de la musique, qui à mesure qu’elle durera, ne sera plus nécessairement couplée aux boomers, à la mode et aux enjeux commerciaux et politiques de leur génération. Tout comme Ray Charles, Fats Domino, Chuck Berry et Little Richard, nous ne jetterons pas le bébé avec l’eau du bain.

ROCK’N ROLL THE EARLY YEARS :

https://www.youtube.com/watch?v=gD2Om1g3B3o

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