Fabrice Eulry écrit sans cryptage pour le Canard du pianiste :
Chers amis mélomanes,
Certains d’entre vous m’ont demandé ou suggéré d’enregistrer une vidéo pendant le confinement. Celles que j’ai pu visionner au hasard et partager, font chaud au coeur (je pense entre autres à celle du guitariste Jeff Monin, à celles des pianistes Anne Cadilhac, Ricky Nye, Rob Rio, Michel Crosio, et bien sûr à la vidéo quotidienne d’Elizabeth Sombart. Bravo les artistes ! C’est pourquoi vous avez également pu voir certains extraits de mes concerts en Russie ou en Ukraine. En revanche, je n’ai pas souhaité enregistrer moi-même de vidéo originale pendant la durée du confinement. J’ai préféré consacrer tout mon temps à l’écriture de mon concerto pour piano n°4, un travail en immersion qui nécessite de ne pas être interrompu, ce que le tourbillon des tournées interdit d’ordinaire, et pour lequel le confinement constituait donc une opportunité parfaite. J’ai donc pensé à préparer plutôt l’après confinement. Des vidéos pour soutenir le moral provisoirement, très bien, mais ce qui compte ce sont les concerts, la musique vivante, et il n’est pas question de se résigner à devenir un musicien virtuel.
Même sous les pires régimes, à part certaines pétro-monarchies (et encore) la musique vivante a toujours pu exister au moins sous diverses formes .
Même sous l’occupation, ces fameuses « heures les plus sombres de notre histoire », les cabarets, les clubs, les salles de spectacle, les music-halls, restèrent ouverts.
Vous avez compris où je veux en venir.
Si devait se confirmer la rumeur d’une année blanche c’est à dire indemniser les artistes de scène pour qu’ils cessent de s’y exprimer (acheter leur silence ?), et si d’aventure ce virus a été et devait rester le prétexte, pour un pouvoir inquiet pour ses prébendes, d’une mise sous le boisseau de tout ce qui peut lui paraître subversif, cela devient un devoir autant qu’une nécessité vitale pour un artiste qui vit de et pour la scène, de s’expatrier lui et son activité, pour que la musique continue à vivre. F.E.